sexta-feira, 8 de novembro de 2013

LA MORTE ROUGE de Victor Erice - 11.11.2013 - 19h30



Dans La Morte Rouge (2006), Victor Erice [se penche] sur sa première expérience de spectateur de cinéma qu'il évoque comme un boulversement de toute son enfance. Dans le premier film qu'il vit, The Scarlet Claw de Roy William Neill (1944) - La Garra escarlata en espagnol, Sherlock Holmes enquêtait sur une série de crimes sanglants, commis à l'aide d'une sorte de petite main griffue, dans une ville nommé La Morte Rouge. Erice raconte qu'il ne fut pas seulement frappé par la violence du film mais plus encore par l'impassibilité des autres spectateurs face à tous ces meurtres: "L'attitude unanime des adultes devait être la conséquence d'un pacte qu'ils avaient tous accepté, consistant à se taire et à continuer à regarder"1 . Il les perçut alors comme les détenteurs d'un secret qu'il ignorait et comme les complices de la fiction criminelle. La découverte de l'assassin, le facteur du village sous l'identité duquel se cachait un acteur raté, ne le tranquilisa en rien. Car comment l'enfant pouvait-il savoir ce qu'était un acteur? "Il en déduisit qu'un acteur était quelqu'un qui n'avait pas d'âme à lui; qui, en plus [...] était capable de se choisir une identité à sa guise."1 Il en déduisit aussi que si l'acteur assassin pouvait prendre l'apparence de n'importe qui, alors n'importe qui pouvait être acteur ou assassin. Pour l'enfant qui faisait encore mal la différence entre réalité et fiction, la peur provoquée par le film se prolongea donc bien au-delà de la salle: pendant des semaines, elle hanta chaque lieu, chaque corps, chaque ombre, et alimenta ses angoisses nocturnes. "Voilà, dit Erice, comment l'enfant, au milieu de ce que la plupart des gens considéraient comme un passe-temps, découvrit que les personnes mouraient et, qui plus est, que les hommes pouvaient donner la mort aux autres  hommes"1. Cette découverte faisait écho aux tragédies de l'époque: la fin de la Seconde Guerre mondiale, à l'heure où l'humanité comptait ses morts et découvrait les horreurs du nazisme, dans une Espagne saccagée par la guerre civile et étouffée par le pouvoir franquiste. Une modeste série B policière révèla donc à l'enfant, sans qu'il en soit tout à fait conscient, l"ambiance d'une société dévastée"1, avec ses trahisons, ses simulacres, ses crimes. On pense à ce que Jean-Louis Schefer écrit à propos de sa propre enfance: "La catastrophe n'avait pu faire un seul pas même à travers des décombres, même à travers un deuil jusqu'au jour où on l'emmena au cinéma. Scuiscia: toute la peur de la guerre et qutra ans de terreur, et d'objets brisés et de visages disparus se fixèrent en un instant dans telle salle, sur l'image du premier film."2 (...)
Marcos Uzal
Le regard fixe de l'enfance
in Victor Erice, Abbas Kiarostami, Correspondances
éd.Centre Pompidou, Paris   

1. Texte du film La Morte Rouge
2. L'Homme ordinaire du cinéma
Paris, Cahiers du Cinéma / Gallimard, 1980, p.96
tradução em curso